Les cerisiers
Il n'existera jamais assez de qualificatifs pour décrire la beauté des cerisiers en fleurs nippons. Les Japonais vouent depuis des siècles un culte sans bornes à ces arbres qui tous les ans au mois d'avril, offrent un spectacle extatique, capable d'apaiser pour quelques jours le coeur des plus mauvais et des plus tristes. Indéniablement, les Japonais possèdent l'art et la manière pour mettre en valeur ces bouquets géants. En effet, ce n'est pas un cerisier en fleurs que vous croiserez au hasard de vos promenades, mais plutôt des dizaines d'arbres plantés dans les parcs et les jardins parfois aménagés spécialement. Imaginez-vous vous promenant sous un plafond de millions de fleurs roses pâle... C'est féerique.
Le côté éphémère de cette
floraison rend le spectacle d'autant plus
attractif. L'espérance de vie des fleurs étant
tristement réduite, vous devrez vous hâter pour
venir les admirer ! En effet, frêles et légères,
elles tombent par pétales dès les premiers
caprices du vent... Il n'est donc pas rare de se
retrouver, lors d'une bourrasque, sous une pluie
de pétales parfumés. Sil e paradis sur Terre
devait exister, ce serait sous les cerisiers!
Malheureusement, si la sensibilité des Japonais
envers la nature n'est plus à démontrer, elle
trouve ses limites au printemps naissant. La
période des cerisiers en fleurs provoque
l'euphorie aux quatre coins du Japon. On assiste
en réalité pendant cette période au célèbre
"hanami", qui signifie "aller admirer les
cerisiers". S'il s'agissait juste de se promener
sous les fleurs, ce serait l'Eden des
promeneurs! Mais les Japonais aiment à se
rassembler entre collègues et amis afin de
déjeuner, dîner ou simplement boire sous les
cerisiers. Ils ont alors la fâcheuse habitude
d'y déplier bâches aux couleurs criardes,
matériel de camping avec parfois tables et
chaises en plastique. Le bon goût n'est pas
toujours au rendez-vous... Même s'ils sont
irréprochables lors du rangement et du nettoyage
de leur emplacement, il n'empêche qu'en soirée,
sous les fleurs divines, nombreux sont ceux qui
s'adonnent à de véritable orgies, arrosées de
bière et de saké.
La
vue de ces gens dansant, beuglant, chantant à
tue-tête, jouant (ivres) à des jeux stupides
teinte alors les belles promenades d'une amère
mélancolie, due à une contradiction trop
choquante: d'un côté la beauté de la nature,
mise en valeur par l'homme, et de l'autre la
laideur de l'alcool et du mauvais goût, mise en
valeur par le même homme...
Je crois d'ailleurs que nous tenons ici la clé
d'une longue énigme. Celle de cette floraison si
éphémère! Tout est de notre faute. Les cerisiers
désolés par ce confondant spectacle, pleurent de
tout leur tronc cette insulte faite à leur
délicatesse. "Pourquoi s'attarder face à tant
d'irrespect?" Se questionnent les arbres
sacrés...
Les pétales cèdent alors à l'invitation du vent,
pour se laisser entraîner un peu plus loin, là
où la beauté sait communier avec la beauté.
C'est un cri du coeur lancé à ces pique-niqueurs
irrévérencieux:
"Merci de replier bâches en plastiques, tables
et chaises de camping, de limiter saké et
alcools, paquets de chips et bentos. Contentez
vous de communier, de vous délasser sous cette
nature offerte! Ne faites aucun bruit, laissez
le son des pétales tombant enivrer votre coeur.
C'est plus doux que l'alcool! Allez, à l'année
prochaine!"
Sakura saku (Les cerisiers fleurissent)
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