Histoire du japon
Sommaire:
1. Les premiers peuplements (30 000 av.
J.-C.-593 apr. J.-C.)
1.1 La période de Jomon (8000 av. J.-C.-300 av.
J.-C.)
1.2 La période d’Yayoi (300 av. J.-C.-300 apr.
J.-C.)
1.3 La période de Kofun (300-593)
2 La période ancienne (593-1185)
2.1 La période d’Asuka (593-710)
2.2 La période de Nara (710-784)
2.3 La période de Heian (794-1185)
2.3.1 Les Fujiwara
2.3.2 La guerre des clans
3 Le Moyen Âge (1185-1573)
3.1 La période de Kamakura (1185-1333)
3.2 La restauration de Kenmu et la période de
Nanbokucho (1333-1392)
3.3 La période de Muromachi (1338-1573)
3.3.1 Le gouvernement des Ashikaga
3.3.2 L’essor économique et culturel
3.3.3 Les « Provinces en guerre » ou période de
Sengoku
4 L’époque moderne (1573-1868)
4.1 La période d’Azuchi-Momoyama (1573-1603)
4.2 La période d’Edo (1603-1868)
4.2.1 Une nouvelle organisation politique et
sociale
4.2.2 La fermeture du pays
4.2.3 Les relations avec l’Occident
5 La période contemporaine (depuis 1868)
5.1 L’ère Meiji (1868-1912)
5.1.1 L’unification définitive du pays
5.1.2 Une société nouvelle
5.1.3 Une politique extérieure agressive
5.2 L’ère Taisho (1912-1926)
5.3 L’ère Showa (1926-1989)
5.3.1 L’occupation de la Mandchourie
5.3.2 La guerre avec la Chine
5.3.3 La Seconde Guerre mondiale
5.3.4 Le sort d’un pays vaincu
5.3.5 La reconstruction
5.3.6 Le traité de paix
5.3.7 Les relations avec les États-Unis
5.3.8 Les relations avec l’URSS
5.3.9 Sur la scène internationale
5.3.10 La politique intérieure
5.3.11 La croissance économique
5.3.12 L’instabilité du gouvernement
5.4 L’ère Heisei (depuis 1989)
5.4.1 Le temps des scandales
5.4.2 Les libéraux-démocrates menacés
5.4.3 Catastrophes naturelles et attentats
terroristes
5.4.4 L’avènement d’une nouvelle classe
politique
5.4.5 Crise de confiance économique
5.4.6 Le retour de la stabilité ?
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Le Japon entre dans l’histoire entre le Ve
siècle et le VIIe siècle apr. J.-C., lorsqu’il
commence à utiliser le système d’écriture de son
grand voisin la Chine pour son propre usage. Les
premiers témoignages de l’histoire japonaise
conservés sont le Kojiki (« Récit des faits
anciens », 712) et le Nihon Shoki (« Chroniques
du Japon », 720). Ces deux écrits historiques
relatent les légendes liées à la fondation
mythique du Japon par l’empereur Jinmu (fixée en
l’an 660 av. J.-C.), descendant de la déesse du
soleil Amaterasu Omikami (voir mythologie
japonaise), ainsi que les événements les plus
récents de l’histoire politique — notamment la
constitution du pays en temps qu’État autonome.
Cependant, le peuple japonais apparaît déjà dans
les annales chinoises, en tant que peuple
barbare payant (ou non) un tribu à l’empereur
chinois.
1 Les premiers peuplements (30 000 av.
J.-C.-593 apr. J.-C.)
L’origine des premiers habitants de l’archipel
japonais demeure un sujet de controverses, mais
il semble désormais établi que le peuple
japonais résulte du mélange de plusieurs
populations assez distinctes : un peuple ancien,
déjà présent au moment de la dernière
glaciation, entre 30 000 et 20 000 ans av.
J.-C., et au moins deux peuples arrivés sur
l’archipel vers cette époque — alors que le
Japon, l’Asie et l’Amérique étaient reliés par
une large bande de glace —, l’un sans doute venu
du sud-est du continent asiatique et l’autre
vraisemblablement des plaines de Sibérie et de
Chine.
1.1 La période de Jomon (8000 av. J.-C.-300
av. J.-C.)
Le paléolithique s’achève 8 000 ans avant notre
ère pour faire place au mésolithique, que les
historiens japonais appellent période de Jomon
(« époque de la poterie à décor cordé ») et qui
se caractérise par le développement sur tout
l’archipel d’une société primitive de
chasseurs-cueilleurs. Les poteries retrouvées
sur les sites archéologiques de l’époque Jomon
sont ornées de décors vraisemblablement dessinés
à l’aide d’une corde, et constituent les
premières céramiques façonnées au monde. Entre 8
000 et 300 av. J.-C., les techniques des hommes
(travail du bois et de la pierre, technique de
fabrication des outils) s’améliorent
considérablement, permettant l’accroissement
rapide de la population ainsi que l’augmentation
de l’espérance de vie. Les hommes se
sédentarisent, créent une culture
particulièrement riche dont on commence tout
juste à percer les secrets. L’agriculture, et
plus particulièrement la technique de la
riziculture inondée, venue de Chine par
l’intermédiaire de la Corée commence à se
développer vers le Ve siècle av. J.-C. et ouvre
la voie au néolithique, appelé par les
historiens la période d’Yayoi.
1.2 La période d’Yayoi (300 av. J.-C.-300 apr.
J.-C.)
La période d’Yayoi marque une rupture très nette
sur le plan culturel avec la période de Jomon ;
elle se caractérise par l’arrivée sur l’archipel
d’un grand nombre de techniques et de matériaux
venus du continent, dont l’adoption rapide
permet la naissance d’une civilisation
profondément originale. Outre le riz et les
techniques nécessaires à sa culture, arrive au
Japon le métal (le bronze — mais sans qu’il y
ait « d’âge du bronze » à proprement parler — et
surtout le fer — très rapidement adopté,
notamment pour la fabrication des armes) et les
techniques qui permettent de le travailler. Le
développement de petites surfaces consacrées à
la riziculture favorise l’apparition d’une
société agricole primitive organisée en petites
communautés.
Selon les sources chinoises et plus
particulièrement l’Histoire des Han antérieurs,
puis la Monographie relative aux Wei, l’archipel
est alors habité par un peuple nommé « Wa » par
les Chinois, divisé en une centaine de petits
pays qui se fédèrent à la fin du IIIe siècle en
un État appelé Yamatai, sous l’autorité d’une
reine, Himiko. Les recherches archéologiques les
plus récentes n’ont toujours pas révélé les
secrets de cet État primitif : on ne sait rien
de son emplacement exact, ni de son destin.
Certains historiens le considèrent comme
l’ancêtre du royaume du Yamato, qui apparaît
dans la plaine de Nara au ive siècle apr. J.-C.,
et dont l’existence est en revanche bien
attestée.
1.3 La période de Kofun (300-593)
La période de Kofun (littéralement « tertres
anciens ») tire son nom des gigantesques tumulus
servant de sépulture aux chefs les plus
importants, qui apparaissent au début du IIIe
siècle et prennent, à partir du ive siècle, des
dimensions imposantes — témoignant sans doute de
l’existence d’une classe dirigeante de plus en
plus riche et puissante. Les kofun les plus
caractéristiques de l’époque mesurent plus de
deux cent mètres de longueur, sont en forme de «
trou de serrure » et sont jalonnés de cylindres
en terre cuite, les haniwa, surmontés de
récipients à offrandes, puis de figurines
représentant souvent des guerriers. On a
retrouvé les tumulus les plus anciens dans le
Kinai, au sud du bassin du Yamato. Ils se sont
diffusés ensuite dans l’ouest (jusqu’à Kyushu)
puis dans l’est (jusque dans le Kanto),
témoignant sans doute de l’expansion progressive
de l’influence du royaume du Yamato.
Les recoupements entre les découvertes
archéologiques, les chroniques chinoises de la
fin de la dynastie Han et les premières annales
japonaises permettent d’accréditer la tradition
qui veut qu’entre le IIIe et le Ve siècle se
soit formé, au sud de l’actuelle Kyoto, un
premier État que les chroniques chinoises
appellent « royaume du Yamato ». Il semblerait,
en effet, qu’à peu près à cette époque, un
groupe plus puissant que les autres parvienne à
fédérer sous son autorité les petits royaumes de
la plaine de l’actuelle Nara, peut-être avec
l’aide d’immigrés venus du royaume coréen de
Paekche. Dès la seconde moitié du Ve siècle,
l’influence de la cour du Yamato s’étend du sud
de Kyushu à l’est du Kanto — comme en témoignent
de récentes découvertes archéologiques —, tandis
que se mettent en place des relations
diplomatiques officielles avec la Corée et la
Chine des Song. Ces contacts permettent, en
particulier, l’introduction progressive de
l’écriture, qui marque l’entrée du Japon dans
l’histoire.
La supériorité de la cour du Yamato résulte, en
fait, essentiellement d’un jeu d’alliances entre
le clan dirigeant et les grandes familles (uji),
dont l’influence et la puissance ne cesse de
croître, notamment à partir du vie siècle. La
cour du Yamato préside à l’introduction du
bouddhisme, que l’on situe en général en l’an
538, date à laquelle le roi de Paekche envoie au
Japon une statue et quelques textes bouddhiques.
Cette culture s’enracine très fortement dans
l’archipel et dès le VIIe siècle, le bouddhisme
devient la religion officielle du Japon.
2 La période ancienne (593-1185)
2.1 La période d’Asuka (593-710)
La période d’Asuka, qui doit son nom à la
principale résidence de la cour, débute avec
l’accession au trône de l’impératrice Suiko (qui
règne de 592 à 628), après l’assassinat de
l’empereur Sushun par les Soga. Le neveu de
l’impératrice, le prince Shotoku Taishi, prend
l’initiative de réformes destinées à moderniser
le pays. En 603, il fait promulguer la «
Constitution en dix-sept articles », code
législatif d’inspiration bouddhique et
confucianiste, et crée une bureaucratie à la
chinoise, fixant notamment les échelons de la
hiérarchie des fonctionnaires. Les efforts
déployés par Shotoku Taishi pour stimuler
l’établissement du bouddhisme à travers le pays
favorisent la propagation de la culture chinoise
et la formation d’une élite sinisée.
Les réformes de Shotoku Taishi sont poursuivies
par ses successeurs : le prince Naka no Oe,
futur empereur Tenji, et son conseiller Nakatomi
no Kamatari (614-669) — auquel est plus tard
octroyé le nom familial de Fujiwara —
parviennent en 645 à éliminer le clan Soga et
promulguent la même année les premiers décrets
de la réforme de l’ère Taika (645-649), dont
l’objectif principal est de renforcer le pouvoir
de la maison impériale et d’affaiblir les clans.
L’administration du royaume se fait désormais
selon le modèle chinois : le code de l’ère Taika
est ainsi suivi par ceux de Kiyomihara, Taiho et
Yoro, dont les mesures permettent la mise en
place progressive de ce que les historiens
appellent « l’État régi par les codes » (ritsuryo),
très centralisé et dominé par une bureaucratie
puissante et très hiérarchisée.
2.2 La période de Nara (710-784)
En 710, la cour rompt avec la tradition qui veut
que l’empereur change de résidence à chaque
nouveau règne, et fixe sa capitale à Heijo-kyo
(actuelle Nara, qui donne d’ailleurs son nom à
la période de Nara), nouvelle capitale conçue
comme un centre et construite selon un plan en
damier imité des capitales chinoises. La vie
politique est rapidement dominée par les
descendants de Nakatomi no Kamatari, les
Fujiwara, qui encouragent la promotion du
bouddhisme — comme en témoigne notamment
l’édification du Grand Bouddha de Nara, achevé
vers 752 —, et le dynamisme des relations
diplomatiques nouées avec la Chine de la
dynastie Tang.
La population augmentant régulièrement, le pays
manque rapidement de rizières à répartir selon
le système mis en place par les réformes de
l’ère Taika. Dès 723, un décret autorise ainsi
ceux qui défrichent de nouvelles terres d’en
jouir pendant trois générations. En 743, cette
exception au système de répartition s’étend et
permet notamment aux temples et aux grandes
familles d’acquérir de vastes domaines sans
limitation dans le temps.
C’est à cette époque que sont élaborées les deux
premières histoires nationales, le Kojiki (712)
et le Nihon Shoki (720), et qu’est compilée la
première grande anthologie poétique, le Manyoshu
(« Recueil des dix mille feuilles », v. 760),
tandis que se développent un art et une
architecture encore largement influencés par la
Chine, mais dont certains traits originaux
commencent à se dégager. Le développement des
temples et du clergé bouddhiste (les six sectes
de Nara) devenant une charge de plus en plus
pesante pour les empereurs, Kanmu (qui règne de
781 à 806) cherche à se dégager de leur
influence en transférant en 784 la capitale
impériale à Nagaoka puis, dix ans plus tard, à
Heian-kyo (actuelle Kyoto), capitale en titre
jusqu’en 1868.
2.3 La période de Heian (794-1185)
Le Byodoin est l'un des rares exemples de l'architecture amidiste de l'époque Heian. Construit pour la famille Fujiwara Yorimichi, le pavillon du Phénix fut transformé en sanctuaire en 1053. Il est situé à Uji, près de Kyoto.
La période de Heian apporte
au Japon plus de 350 années de paix et de
prospérité. À partir du ixe siècle, la cour
parvient à étendre sa domination sur toutes les
îles principales du Japon, à l’exception
d’Hokkaido et du nord d’Honshu, où des campagnes
militaires sont régulièrement menées pour
refouler les Aïnu.
2.3.1 Les Fujiwara
À partir de la seconde moitié du ixe siècle, le
pouvoir temporel échappe progressivement à la
famille impériale pour se concentrer entre les
mains des Fujiwara, lesquels mettent en place
une politique habile leur permettant de
systématiquement s’arroger la charge de sessho
(régent) ou de kanpaku (chancelier) d’un jeune
empereur né d’une des demoiselles du clan.
Ainsi, lorsque l’empereur Montoku meurt en 858,
laissant le trône au jeune empereur Seiwa (alors
âgé de huit ans), son grand-père Fujiwara no
Yoshifusa prend le titre de régent, initiant une
tradition guère contestée jusqu’à la fin du Xe
siècle. Les Fujiwara accaparent dès lors la
plupart des charges officielles, à la Cour comme
dans l’administration ; ils s’imposent au sein
de la famille impériale en mariant, génération
après génération, leurs filles aux empereurs :
ceux-ci sont encouragés à abdiquer en faveur de
leurs successeurs, encore enfants et aussitôt
placés sous la régence d’un Fujiwara. Le plus
important des membres de la famille reste
Fujiwara no Michinaga (966-1028), dont les cinq
filles épousent des empereurs, ce qui lui permet
de contrôler absolument la Cour entre 995 et
1028.
L’époque des Fujiwara est marquée par le
développement d’une culture nationale dégagée de
ses influences chinoise et coréenne. Le temps de
Fujiwara no Michinaga est également celui de
l’apogée culturelle de la Cour de Heian,
notamment sur le plan littéraire avec des femmes
écrivains telles que Murasaki Shikibu, auteur du
Dit du Genji (Genji monogatari, début XIe
siècle) ou encore Sei Shonagon. Sur le plan
politique et économique, l’autorité centrale
s’affaiblit progressivement : les deux grandes
sectes bouddhistes nées à cette époque, tendai
et shingon, acquièrent des domaines immenses,
tandis que les aristocrates provinciaux se
taillent de grands fiefs, souvent exemptés de
taxes, qu’ils administrent personnellement. Un
seigneur du clan des Taira ose même se proclamer
empereur en 940. Cet événement est révélateur de
la tendance qui se dessine : les clans
seigneuriaux, de plus en plus autonomes,
commencent à organiser leurs provinces en
véritables États et à se lancer dans des guerres
de conquête.
2.3.2 La guerre des clans
L’hégémonie des Fujiwara prend fin en 1028,
après la mort de Michinaga. Puis, au milieu du
XIe siècle, la famille perd son monopole sur la
régence : à la mort de l’empereur Go-Reizei en
1068, aucun Fujiwara n’est en âge de s’arroger
ce rôle, et le trône impérial revient à
l’empereur Go-Sanjo. Ce dernier n’hésite pas à
marquer d’emblée son indépendance. Son fils,
l’empereur Shirakawa (qui règne à partir de
1072) inaugure un nouveau mode de gouvernement,
celui des « empereurs retirés » (insei) : il
abdique en 1086 en faveur de son fils l’empereur
Horikawa, dont il assure lui-même la régence.
Cependant, dans les provinces, commence à se
développer un monde guerrier dont les ambitions
sont assez éloignées des préoccupations des
aristocrates de la Cour. Les samouraï, au
service de propriétaires terriens restés à la
capitale dont ils administrent les terres,
s’organisent en clans de plus en plus puissants.
Les clans les plus importants sont alors les
Taira, protégés par les empereurs retirés, qui
acquièrent une renommée militaire et établissent
leur pouvoir dans le sud-ouest du pays autour de
la mer Intérieure, et les Minamoto, proches des
Fujiwara, font de même dans les vastes plaines
du Kanto.
En 1156, tandis que deux frères Fujiwara,
Tadamichi et Yorinaga, se déchirent pour le
pouvoir, un conflit de succession éclate après
la mort de l’empereur retiré Toba, entre
l’ancien l’empereur Sutoku (1119-1164) et le
fils de Toba-tenno, le futur empereur
Go-Shirakawa (1127-1192). Sutoku, Yorinaga et
Minamoto no Tameyoshi s’allient alors contre
Goshirakawa, Tadamichi et les guerriers Taira no
Kiyomori et Minamoto no Yoshitomo, propre fils
de Tameyoshi. Les batailles qui s’ensuivent, ou
« troubles de l’ère Hogen », se soldent par
l’exil de Sutoku et l’avènement de Yoshirakawa.
Ce dernier, devenu empereur, néglige cependant
de récompenser Yoshitomo à sa juste valeur,
lequel fomente un coup d’État en 1159 («
troubles de l’ère Heiji »), rapidement écrasé
par Kiyomori : Yoshitomo est éliminé, ainsi que
la plupart des membres de sa famille, à
l’exception de ses deux plus jeunes fils,
Minamoto no Yoritomo et Minamoto no Yoshitsune.
Les Taira dominent désormais le pays, tandis que
Kiyomori s’arroge les postes les plus élevés de
la Cour. Calquant sa politique sur celle des
Fujiwara, il distribue les emplois de la Cour
aux membres de sa famille et marie sa fille à un
prince impérial, dont le jeune fils Antoku
devient empereur en 1180. La même année,
Minamoto no Yoritomo, qui a établi son quartier
général dans l’est du pays (à Kamakura), saisit
le prétexte d’un soulèvement organisé par son
cousin Yoshinaka pour de nouveau déclencher les
hostilités. Cette première bataille est un
échec, mais lorsque Yoshinaka décide d’attaquer
la capitale impériale en 1183, Yoritomo a
rassemblé suffisamment d’hommes pour que son
armée, dirigée par son brillant frère cadet
Minamoto no Yoshitsune, parvienne à porter
secours à l’empereur retiré Go-Shirakawa. Les
batailles se succèdent, repoussant les Taira
vers l’ouest du Japon, jusqu’à la bataille
décisive de Dan no Ura, qui marque
symboliquement la fin de l’époque antique et le
début du Moyen Âge.
3 Le Moyen Âge (1185-1573)
3.1 La période de Kamakura (1185-1333)
Après la défaite des Taira, Minamoto no Yoritomo
s’arroge l’essentiel du pouvoir. Il élimine son
frère puis s’engage dans la pacification du
pays, terminée en 1189. À Kamakura, loin de la
Cour impériale et de ses splendeurs, s’élève
désormais un nouveau type de pouvoir, un pouvoir
guerrier temporel, qui certes tire sa légitimité
de l’investissement impérial dont il ne peut se
passer, mais qui, de fait, gouverne dès lors le
pays. C’est le début de la période de Kamakura.
En 1192, Minamoto no Yoritomo est nommé par
l’empereur Seiitai shogun, (littéralement «
général chargé de la lutte contre les barbares
», abrégé en shogun), inaugurant ainsi le bakufu
(littéralement, « gouvernement de la tente ») de
Kamakura, gouvernement militaire d’un genre
nouveau, dont naît alors une forme de féodalité
qui perdure, sous différentes formes, jusqu’à la
fin du XIXe siècle.
Le règne des Minamoto est de courte durée. Dès
1219, faute d’héritiers Minamoto adultes, les
Hojo s’arrogent le titre de régent héréditaire (shikken),
qu’ils conservent jusqu’en 1333. Les « troubles
de l’ère Jokyu » au cours desquels l’empereur
retiré Go-Toba tente de renverser le shogunat,
n’empêchent pas les Hojo d’établir fermement
leur pouvoir. En 1232 est ainsi édicté un
nouveau code civil et pénal en 51 articles,
resté en vigueur jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Le Japon guerrier est certes un Japon plus rude
et plus violent que celui de l’époque
précédente, mais il est cependant au cœur d’une
civilisation brillante et novatrice. Sur le plan
littéraire, la lutte entre les Taira et les
Minamoto, ainsi que la chute tragique des
premiers, inspire une nouvelle écriture, aux
accents épiques, dont le chef-d’œuvre est sans
doute le Dit des Heike (Heike monogatari, v.
1220). La poésie de cour, toujours vivante, est
marquée par la compilation de nouvelles
anthologies, qui consacrent des poètes tels que
l’empereur Go-Toba lui-même, ou Fujiwara no
Sadaie.
L’époque de Kamakura est également une période
de grand dynamisme religieux. De nombreuses
sectes apparaissent, supplantant rapidement les
écoles tendai et shingon de l’époque précédente,
proposant une foi et une pratique moins
aristocratique, plus accessible aux laïcs. Parmi
ces nouveaux courants, l’amidisme — dont la
pensée est en particulier développée par les
moines Genku et Shinran — promet à ses fidèles
la renaissance en Terre Pure à la seule
condition de croire en la puissance d’Amida ; il
se répand très rapidement parmi les couches
populaires. À la même époque, le bouddhisme zen
est adopté par de nombreux guerriers, qui
puisent dans cette doctrine une philosophie et
une foi capables de les aider sur le champ de
bataille. Deux nouvelles écoles zen sont alors
créées, la secte rinzai, fondée par le moine
Eisai, et la secte soto, fondée par Dogen. En
1253, le moine Nichiren fonde une autre secte,
appelée secte du Lotus ou secte nichiren (Nichiren-shu),
dont la puissance politique ne cesse de croître.
Pendant plus de cent ans, les Hojo se
maintiennent au pouvoir. Leurs officiers et
leurs gouverneurs de provinces acquièrent de
l’influence sur leurs terres et forment à leur
tour de nouveaux clans militaires. En 1274 puis
en 1281, l’Empire mongol, qui contrôle déjà la
Chine et la Corée, essaie de soumettre le Japon.
Les Mongols sont repoussés de justesse, en
partie grâce au typhon resté célèbre sous le nom
de kamikaze, « vent des Dieux ».
3.2 La restauration de Kenmu et la période de
Nanbokucho (1333-1392)
Facilement repoussées, les invasions mongoles
laissent cependant le régime des Hojo épuisé et
très appauvri. L’empereur Go-Daigo, intronisé en
1318 puis exilé pour avoir tenté de s’opposer au
shogunat, envisage de profiter de cette
faiblesse pour rassembler autour de lui
suffisamment de partisans pour renverser le
pouvoir en place. Il reçoit le soutien de
Ashikaga Takauji (1305-1358), seigneur du clan
Ashikaga et chef militaire chargé par les Hojo
de maintenir l’ordre : le shogunat est renversé
et le pouvoir revient à l’empereur Go-Daigo.
Cette période, appelée restauration de Kenmu, ne
dure qu’à peine trois ans (1333-1336).
Mécontent du peu de reconnaissance que Go-Daigo
lui témoigne, Ashikaga Takauji le chasse de la
capitale en 1336, intronisant un nouvel
empereur, dont il reçoit la charge de shogun en
1338. Go-Daigo part se réfugier dans les
montagnes au sud de Nara et y fonde une seconde
cour impériale. Commence alors une longue
période de guerre civile que les historiens
appellent période de Nanbokucho (littéralement,
« époque des cours du sud et du nord »), qui ne
s’achève qu’en 1392 lorsque le shogun Yoshimitsu
obtient le retour de la cour du sud et la
réconciliation des deux branches impériales.
3.3 La période de Muromachi (1338-1573)
3.3.1 Le gouvernement des Ashikaga
Désormais shogun, fondateur de la lignée des
Ashikaga, Takauji entreprend de renforcer son
pouvoir dès les premières années de son règne.
La tâche n’est pas aisée, puisque que les
guerres civiles ne cessent de se succéder. Il
faut attendre le gouvernement de son fils
Yoshiakira (shogun de 1358 à 1367) et surtout
son petit-fils Yoshimitsu (shogun de 1358 à
1394) pour que parvienne à s’établir un fragile
équilibre. Un commerce officiel est notamment
entrepris avec la Chine, permettant un essor
économique important et le développement d’une
bourgeoisie urbaine. La stabilité n’est
cependant que de courte durée. Dès le début du
XVe siècle, le gouvernement central perd de son
pourvoir, au profit des chefs militaires
installés dans les provinces, les shugo daimyo.
La majeure partie du pays échappe ainsi au
contrôle shogunal, tandis que les campagnes sont
secouées par de fréquentes révoltes paysannes.
3.3.2 L’essor économique et culturel
Malgré la fréquence et la violence des troubles
politiques et sociaux, le shogunat des Ashikaga
est une période d’essor culturel sans précédent.
Ashikaga Yoshimitsu, le troisième shogun, se
fait protecteur des arts et des lettres — un art
largement inspiré de l’esthétique de la Chine
des Ming puis des Song, importé au Japon par les
moines zen et les penseurs confucianistes, dont
l’influence est alors en plein développement —
notamment représenté par Zeami pour le théâtre
nô, Sen no Rikyu pour la cérémonie du thé,
Sesshu, etc. De nouvelles influences pénètrent
également, grâce à l’arrivée des Portugais qui
débarquent à Kagoshima en 1543. Leurs mousquets
sont vite copiés par les artisans locaux,
transformant ainsi l’art de la guerre au Japon.
Pour sa part, saint François Xavier,
missionnaire jésuite, introduit le christianisme
dans le pays en 1549.
3.3.3 Les « Provinces en guerre » ou période
de Sengoku
Les troubles de l’ère Onin (1467-1477) marquent
symboliquement l’entrée du Japon dans la période
dite des « Provinces en guerre » ou période de
Sengoku, pendant laquelle les seigneurs
provinciaux (daimyo), tentent d’étendre leur
pouvoir sur leurs terres, avant d’entrer en
guerre de manière quasi systématique contre
leurs voisins. De cette anarchie, bientôt
étendue à tout le territoire, émergent cependant
certains seigneurs encore plus ambitieux, dont
le but affirmé est l’unification politique du
Japon. Parmi ceux-là, on citera en particulier
Takeda Shingen et son rival Uesugi Kenshin, mais
aussi Oda Nobunaga et Tokugawa Ieyasu.
4 L’époque moderne (1573-1868)
4.1 La période d’Azuchi-Momoyama (1573-1603)
La période d’Azuchi-Momoyama, période de
transition entre le shogunat des Ashikaga et
celui des Tokugawa, marque la réunification
progressive du Japon, qui a lieu en trois
étapes. Oda Nobunaga, daimyo de la région de
Nagoya, parvient à chasser de la capitale le
dernier shogun Ashikaga. Il installe alors son
quartier général à Azuchi, d’où il tente
d’unifier le pays, s’emparant de plus de la
moitié des plaines de l’est du pays et parvenant
à briser la résistance des monastères.
Lorsque d’Oda Nobunaga est trahi et contraint au
suicide par la traîtrise de l’un de ses vassaux,
c’est Toyotomi Hideyoshi, son plus fidèle
lieutenant et l’un de ses meilleurs soldats, qui
lui succède. Ce dernier se fait construire un
château à Osaka, obtient de la cour
d’importantes charges — exceptée celle de
shogun, n’étant pas un descendant Minamoto — et
engage dès 1586 d’importantes réformes
politiques et économiques destinées à asseoir
son pouvoir. En 1595, avec l’aide d’un puissant
vassal, Tokugawa Ieyasu, il parvient à unifier
l’ensemble du territoire japonais, y compris
Shikoku, Kyushu et les plaines du Nord-Est. Sa
santé mentale décline cependant et, dès 1592, il
entreprend de lancer ses troupes à la conquête
de la Corée. La tentative est renouvelée en
1597, mais Toyotomi Hideyoshi meurt en 1598 au
cours de la seconde campagne, ne laissant
derrière lui qu’un fils de cinq ans.
Les vassaux d’Hideyoshi rompent rapidement le
serment d’allégeance qui les lie à son jeune
fils et commencent à se quereller au sujet de la
succession ; néanmoins, Tokugawa Ieyasu écrase
les prétendants en 1600 à la bataille de
Sekigahara. Contrairement à son prédécesseur, le
nouveau maître du Japon a songé à s’inventer une
généalogie fictive lui permettant de s’établir
une ascendance Minamoto ; aussi la Cour
peut-elle lui octroyer la charge de shogun en
1603, fondant ainsi le shogunat des Tokugawa, et
ouvrant une période de stabilité politique qui
dure jusqu’à la fin du XIXe siècle, la période
d’Edo.
4.2 La période d’Edo (1603-1868)
4.2.1 Une nouvelle organisation politique et
sociale
Commencé au milieu du XIVe siècle, le château Himeji, à l'ouest de Kyoto, fut achevé en 1608. Également appelé château « du Héron blanc » en raison de la couleur de ses murs faits de bois et de plâtre, il comporte un donjon à sept étages. Il est aujourd'hui considéré comme trésor national du Japon.
Désireux de ne pas reproduire
les erreurs de ses prédécesseurs et d’assurer
sans trop de difficultés sa succession, Ieyasu
abdique dès 1605 en faveur de son fils, puis se
débarrasse en 1615 des derniers descendants
d’Hideyoshi en s’emparant de la forteresse
d’Osaka. Il installe son gouvernement militaire,
ou bakufu, à Edo (actuelle Tokyo) — qui devient,
en peu de temps, la plus grande et la plus riche
des villes du Japon —, puis entreprend un grand
nombre de réformes politiques, sociales et
fiscales destinées à assurer au gouvernement
shogunal le contrôle absolu de la population.
Lorsque Ieyasu meurt en 1616, il laisse une
œuvre considérable et destinée à durer : le
Japon, unifié, possède désormais un gouvernement
stable.
Le personnage central de ce gouvernement est le
shogun, de loin le plus puissant et le plus
riche de tous les daimyo. Il dispose en
permanence d’une armée de 80 000 hommes et
contrôle directement les grandes villes et les
ports, ainsi que tous les grands axes routiers
et les mines. Le shogun gouverne seul, avec
l’aide d’un conseil composé de ministres d’État
(rochu) et d’un conseil d’intendants (wakashidori).
Il est également assisté par les préfets d’Edo,
les intendants des finances, les commissaires
aux affaires religieuses et de nombreux
inspecteurs. Au début de la période d’Edo, il y
a environ 270 daimyo, qui se répartissent en
trois catégories : les shinban daimyo,
collatéraux et enfants de Tokugawa Ieyasu, les
fudai daimyo, vassaux fidèles ralliés avant
1600, et les tozama daimyo, vassaux ralliés ou
vaincus après 1600, souvent puissants et
dangereux.
La société de la période d’Edo est divisée en
catégories sociales, entre lesquelles la
mobilité est en principe bloquée. On distingue
ainsi les guerriers, les paysans, les artisans
et les commerçants, puis, dans un autre
registre, les nobles de cour, les moines
bouddhistes et les desservants shinto et, enfin,
en dehors de la société, les parias (eta et
hinin). Le shogunat édicte, entre 1615 et 1635,
un grand nombre de décrets destinés à fixer la
population et à limiter au maximum la mobilité
sociale. Chaque daimyo conserve dans son fief
l’autorité suprême, mais doit faire serment
d’allégeance aux Tokugawa, laisser sa famille en
otage à Edo, et venir personnellement rendre ses
devoirs au shogun une fois tous les deux ans.
4.2.2 La fermeture du pays
Une autre conséquence de la domination des
Tokugawa est la fermeture du Japon à toute
influence extérieure. Tous les étrangers sont
bientôt expulsés, tandis que seuls les
Hollandais et les Portugais, cantonnés dans
l’île artificielle de Deshima (dans le port de
Nagasaki), conservent le droit de commercer avec
le pays une fois par an. Le christianisme, parce
qu’il menace l’équilibre social, est interdit
et, dès 1613, les chrétiens sont persécutés. En
1637 sont massacrés près de 40 000 paysans
christianisés retranchés à Shimabara, près de
Nagasaki. Le christianisme japonais ne s’en est
jamais relevé.
Au cours des deux siècles suivants, les formes
de la féodalité japonaise demeurent inchangées.
Le Bushido, code des guerriers féodaux, devient
le modèle de conduite des guerriers, qu’ils
soient daimyo, samouraï ou ronin. Du fait de la
paix durable, qui laisse inactifs un très grand
nombre de guerriers, pour la plupart instruits,
la culture Edo — qui, contrairement aux
apparences, n’a jamais été ni complètement
fermée aux influences extérieures, ni vraiment
repliée sur elle-même — est particulièrement
dynamique sur le plan culturel. Le développement
rapide des écoles et de l’instruction permet
l’apparition, aux côtés des classiques études
chinoises, des « études nationales » (kokugaku),
ainsi que des « études hollandaises » (rangaku).
Le théâtre kabuki, l’art de Honnami Koetsu et
l’école picturale Ukiyo-e, ainsi que les romans
de Ihara Saikaku et la poésie de Basho, datent
de cette période. Le néo-confucianisme devient
l’idéologie officielle du gouvernement dès le
quatrième shogun, qui cherche à pacifier les
lois du pays et surtout à combattre la crise
économique et financière naissante — qui ne
cesse d’ailleurs de s’aggraver tout au long de
la période d’Edo.
4.2.3 Les relations avec l’Occident
Lorsque les États-Unis, désireux d’investir le
marché japonais, frappent à la porte
diplomatique du pays en 1853 en la personne du
commodore Matthew Perry, le gouvernement —
affaibli par les crises politiques et ne
parvenant pas à enrayer le marasme économique —
n’est manifestement pas en mesure d’opposer une
puissante résistance. La menace militaire étant
bien réelle, le shogunat signe donc la
convention de Kanagawa en mars 1854, ouvrant le
pays au commerce international. Elle est suivie
d’un traité commercial, négocié avec difficultés
par Townsend Harris entre 1855 et 1858, bientôt
ratifié par les Américains, les Anglais, les
Français et les Russes. En 1860, une ambassade
japonaise est envoyée aux États-Unis, et deux
ans plus tard, des missions commerciales
japonaises font le tour des capitales
européennes, afin de négocier des accords
officiels.
Le Japon s’ouvre alors à l’Occident, davantage
en raison des démonstrations de la force
occidentale que du désir des Japonais
d’entretenir des relations avec l’étranger. Les
traités donnent aux Occidentaux des privilèges
considérables, y compris celui de
l’extraterritorialité. Tandis que l’ouverture à
l’étranger est le catalyseur d’une crise
politique intérieure — qui provoque, à terme, la
chute des Tokugawa. L’opposition vient de trois
clans : les Satsuma, les Choshu et les Tosa.
Leurs sentiments anti-étrangers vont de pair
avec leur hostilité aux Tokugawa et le souhait
d’une « restauration » impériale que résume un
slogan : sonno joi (« révérez votre empereur,
expulsez les barbares »). Ils se rallient autour
de l’empereur à Kyoto et, grâce au soutien
impérial, prennent l’initiative d’attaques
militaires sur terre et sur mer, dirigées contre
les navires étrangers qui se trouvent dans les
ports japonais. Les efforts des shoguns pour
empêcher ces actions demeurent sans effet.
Le mouvement contre les étrangers prend fin en
1864, après le bombardement de Shimonoseki par
des navires de guerre occidentaux. Dès lors, les
Japonais comprennent qu’il devient impossible de
les chasser et se mettent à l’école de
l’Occident. Les féodaux de Satsuma, Choshu, Tosa
et d’autres fiefs fomentent un coup d’État. Le
dernier shogun, Tokugawa Yoshinobu, abdique à la
fin de 1867 tandis que les partisans de
l’empereur, déterminés à forcer la décision,
proclament, le 3 janvier 1868, la restauration
impériale à Kyoto.
5 La période contemporaine (depuis 1868)
5.1 L’ère Meiji (1868-1912)
5.1.1 L’unification définitive du pays
Empereur japonais qui entreprit la modernisation du Japon. Il eut un tel prestige auprès de ses sujets qu'à sa mort, en 1912, le général Nogi, héros de la guerre russo-japonaise, se fit seppuku pour suivre son empereur dans la mort.
Les forces provenant des
fiefs de Satsuma, de Choshu et de Tosa, qui
constituent désormais l’armée impériale, défont
les dernières troupes des shoguns en 1868. La
plupart des fiefs restent en dehors du conflit,
attendant son issue. Cette guerre, dite Boshin,
se termine rapidement par la capitulation des
forces shogunales à Edo. Le jeune empereur
Mutsuhito choisit le nom de Meiji («
gouvernement éclairé ») pour désigner son règne.
Ce nom devient également son nom posthume
d’empereur. Autour de lui, évoluent Okubo
Toshimichi, Saigo Takamori et Kido Takayoshi,
guerriers issus des clans Choshu et Satsuma, qui
parviennent à monopoliser les postes
ministériels et sont les artisans des réformes
(voir Meiji, restauration de). La capitale
impériale est transférée à Edo, rebaptisée Tokyo
(« capitale de l’Est »). En 1869, les seigneurs
des grands clans de Choshu, Hizen, Satsuma et
Tosa remettent leurs fiefs entre les mains de
l’empereur ; la renonciation des autres clans
suit bientôt et, en 1871, un décret impérial
proclame l’abolition de tous les fiefs, créant
pour les remplacer des préfectures administrées
de façon centralisée par les anciens daimyo
devenus gouverneurs. La réalité du pouvoir est
entre les mains des samouraï des clans Satsuma
et Choshu. Issus des rangs inférieurs de la
caste des samouraï, ces hommes jeunes — ils ont
tous entre 27 et 41 ans en 1868 — fournissent
l’essentiel des cadres de l’Empire jusqu’à la
Seconde Guerre mondiale.
5.1.2 Une société nouvelle
Industrialisation
du Japon Commencée en 1868, la restauration de
Meiji fut l'œuvre de l'empereur Meiji Tenno, qui
s'attacha à moderniser le Japon en prenant comme
modèle les pays occidentaux. Library of Congress
En à peine trente ans, s’appuyant sur une élite
intellectuelle ouverte sur l’Occident et aussi
bien formée aux sciences venues d’Occident
qu’aux disciplines traditionnelles, le Japon
devient une puissance de rang mondial. Des
officiers français sont engagés pour réformer
l’armée de terre, tandis que des Britanniques
réorganisent la marine, dont la plupart des
officiers sont des hommes du clan Satsuma. Le
service militaire obligatoire est décrété en
1872. Des missions sont dépêchées dans les pays
étrangers, afin d’étudier les systèmes de
gouvernement et les institutions. Un nouveau
Code pénal, calqué sur celui de la France, est
promulgué.
Le ministère de l’Éducation, créé en 1871, rend
obligatoire l’enseignement primaire tandis que
des programmes de formations supérieures,
inspirés des modèles occidentaux, sont mis en
place. Certains auteurs étrangers, parmi
lesquels Jules Verne, sont traduits. L’État
prend en main le financement de l’infrastructure
économique. De vieilles familles marchandes,
comme les Mitsui, d’anciens samouraï comme
Iwasaki, fondateur de la firme Mitsubishi,
peuvent ainsi jeter les bases d’une économie
moderne.
En 1876, la caste des samouraï est abolie par
décret. Ce n’est cependant pas sans un long et
tragique affrontement entre l’armée impériale et
les samouraï ; ceux-ci sont finalement vaincus à
Satsuma en 1877. Saigo Takamori, qui a pris la
tête de la rébellion après avoir soutenu la
restauration de Meiji, se donne la mort. Cette
mutation brutale, imposée par les classes
supérieures — l’oligarchie des clans Choshu et
Satsuma —, n’est pas le résultat d’une exigence
politique populaire. Les paysans, malgré la
possibilité qui leur est donnée de posséder les
terres (1868), continuent à supporter la plus
grande partie du fardeau des impôts et les
révoltes agraires et ouvrières se poursuivent
jusque dans les années trente.
Au niveau institutionnel, ce n’est qu’en 1889
que le Japon réussit à se doter d’une
Constitution qui vient couronner l’édifice. En
1881, l’empereur promet d’établir une
législature nationale. En 1884, préparant la
création d’une Chambre haute, une pairie est
instituée, comportant cinq ordres de noblesse.
Sur le modèle allemand, un cabinet est constitué
en 1885 avec, à sa tête, Ito Hirobumi comme
Premier ministre ; un conseil privé est
également créé en 1888 ; les deux organismes
sont responsables devant l’empereur. La
Constitution de 1889, préparée par Ito, crée une
Chambre des pairs comptant 363 membres et une
Chambre basse de 463 membres, élue par les
citoyens acquittant des impôts directs annuels
d’au moins quinze yens, ce qui réduit le corps
électoral à 450 000 personnes environ. Les
pouvoirs de l’empereur sont scrupuleusement
définis : il peut promulguer des décrets qui ont
force de loi et lui seul peut déclarer la
guerre. De plus, la Chambre basse peut être
dissoute et la Chambre haute ajournée par simple
décret impérial. La Constitution reste cependant
vague sur les limites du pouvoir exécutif. Par
la suite, des ordonnances réservent les postes
de ministre des Armées et de ministre de la
Marine à des officiers en exercice, ce qui
laisse aux militaires un droit de veto sur la
formation des cabinets et leur donne
potentiellement une grande puissance politique.
5.1.3 Une politique extérieure agressive
Tombeau de
l'empereur Meiji (Japon) Construit au cœur de
Tokyo pour l'empereur Meiji, qui gouverna de
1868 à 1912, et pour son épouse, l'impératrice
Shoken, ce tombeau attire aujourd'hui des
pèlerins et des touristes venus de tout le
Japon. Kevin Morris/ALLSTOCK, INC.
Dès 1879, le Japon a pris possession des îles
Ryukyu, sous protectorat japonais depuis 1609.
La conquête de la Corée est l’étape suivante de
son expansion. La guerre sino-japonaise
(1894-1895) voit triompher l’armée japonaise.
Aux termes du traité de Shimonoseki (1895), la
Chine cède au Japon Formose (Taïwan), Penghu, et
lui verse une indemnité financière considérable.
Le traité accorde également au Japon la
péninsule de Liaodong (sud de la Mandchourie),
mais la Russie, la France et l’Allemagne
contraignent le pays à accepter, en lieu et
place, une forte indemnité.
En se lançant dans une politique coloniale, le
Japon entre en conflit avec son puissant voisin,
la Russie, laquelle cherche à s’étendre dans le
nord-est de l’Asie à partir de la Sibérie. Les
deux puissances signent, en 1898, un traité
garantissant l’indépendance de la Corée, mais
restant très favorable aux intérêts commerciaux
du Japon. Toutefois, à la suite de la révolte
des Boxers (1898-1900), les Russes occupent la
Mandchourie et, de là, commencent à s’introduire
dans le nord de la Corée.
En 1904, après l’échec de multiples tentatives
de négociations, le Japon attaque Port-Arthur,
territoire du sud de la Mandchourie cédé à bail
aux Russes, puis rompt les relations
diplomatiques avec la Russie avant d’entrer en
guerre contre cette dernière (voir guerre
russo-japonaise). La flotte japonaise écrase
rapidement la flotte russe à Tsushima, tandis
que sur terre elle s’empare de Port-Arthur. Le
Japon, aussi épuisé que son adversaire,
s’empresse de répondre aux offres de médiation
du président américain Theodore Roosevelt, et un
traité de paix est signé à Portsmouth (New
Hampshire) le 5 septembre 1905, traité qui
accorde un temps au Japon le bail sur la
péninsule de Liaodong, y compris le territoire
du Guandong, ainsi que la moitié sud de
Sakhaline. De plus, la Russie doit reconnaître
les intérêts japonais en Corée, laquelle est
officiellement annexée par le Japon et
rebaptisée Chosen en 1910.
5.2 L’ère Taisho (1912-1926)
Le futur empereur Taisho, de santé fragile,
succède à son père en 1912, et les militaristes
triomphent au gouvernement. Après le refus des
Allemands d’évacuer le territoire de Jiaozhou (Kiao-tcheou),
dans le nord-est de la Chine, le Japon se range
dans le camp des Alliés lors de la Première
Guerre mondiale. Les troupes impériales occupent
les colonies allemandes des îles Marshall,
Carolines et Mariannes, dans l’océan Pacifique.
En 1915, un ultimatum en 21 points est adressé à
la Chine, revendiquant des privilèges
économiques sur les chemins de fer et les
exploitations minières, ainsi que la promesse
que la Chine ne céderait ni ne donnerait à bail
à aucune autre nation que le Japon, le
territoire côtier situé en face de Taiwan.
L’ultimatum est accepté par les Chinois,
préfigurant la politique japonaise en Asie. Le
Japon, dépendant de l’extérieur, n’a que deux
possibilités pour s’assurer des débouchés :
l’annexion dans la tradition coloniale ou le
règlement à l’amiable. La question chinoise doit
orienter la politique japonaise et finalement
mener à la guerre. En 1916, la Chine cède au
Japon ses droits commerciaux en
Mongolie-Intérieure et dans le sud de la
Mandchourie.
À la suite du traité de Versailles (1919), le
Japon se voit attribuer les îles du Pacifique
qu’il a préalablement occupées, sous forme d’un
mandat concédé par la Société des Nations, dont
le pays est adhérent. Le territoire de Jiaozhou,
précédemment donné à bail, est également cédé au
Japon mais l’empire le restitue à la Chine en
1922, aux termes du traité de Shandong
(Chantoung) signé au cours de la conférence de
Washington en 1922. Celle-ci aboutit, en outre,
à la signature du traité des Quatre Puissances
par lequel le Japon, la France, la
Grande-Bretagne et les États-Unis s’engagent à
respecter mutuellement les territoires en leur
possession dans l’océan Pacifique et à se
consulter en cas de menace sur leurs droits
territoriaux. Enfin, le traité des Neuf
Puissances (Belgique, Grande-Bretagne, Pays-Bas,
Portugal, Japon, France, Italie, Chine et
États-Unis) garantit l’intégrité territoriale et
la souveraineté de la Chine. Un traité
complémentaire entre la Grande-Bretagne, les
États-Unis, le Japon, la France et l’Italie
prend des mesures relatives aux armements
maritimes : désormais, le tonnage total des
navires de guerre japonais ne peut dépasser 315
000 tonnes.
En acceptant ces traités, le Japon fait montre
d’une attitude plus conciliante envers la Chine.
Néanmoins, l’ambition japonaise de contrôler le
Sud-Est asiatique demeure entière. Les relations
russo-japonaises se tendent après la révolution
russe de 1917 et l’invasion de la Sibérie et du
nord de Sakhaline par les Japonais en 1918.
Elles se stabilisent quand le Japon reconnaît le
régime soviétique en 1925, même si l’opposition
reste latente.
Sur le plan intérieur, le Japon, ébranlé par le
terrible tremblement de terre qui a ravagé Tokyo
et Yokohama (1923), subit un regain d’influence
des militaires, qui font proclamer la loi
martiale et favorisent le mouvement de retour
aux traditions et à la xénophobie. Le difficile
apprentissage de la démocratie se poursuit
néanmoins : en 1919, une loi double le nombre
des électeurs (le portant à 3 millions) puis,
pour répondre à des revendications de plus en
plus aiguës, le suffrage universel est accordé
en 1925. Le nombre des électeurs passe alors à
14 millions.
5.3 L’ère Showa (1926-1989)
Hirohito
Hulton Deutsch
En 1926, Hirohito, le petit-fils de l’empereur
Meiji, accède au trône et choisit Showa (« la
Paix éclairée ») comme nom officiel de règne.
Cependant, le général Tanaka Giichi devient
Premier ministre en 1927, confirmant le rôle
prépondérant des militaires. L’industrialisation
rapide du pays entraîne une forte croissance de
la production. Devant l’insuffisance de ses
débouchés sur le marché intérieur, le Japon
reprend sa politique d’expansion agressive à
l’égard de la Chine. Ayant doublé sa population
depuis 1868, le Japon argumente bientôt en
faveur d’une extension de l’espace et de ses
ressources.
5.3.1 L’occupation de la Mandchourie
À la fin des années vingt, le Japon fait de la
Mandchourie un protectorat de fait. Le 18
septembre 1931, l’armée japonaise s’empare des
arsenaux de Moukden (Shenyang) et de plusieurs
villes voisines. Les troupes chinoises doivent
se retirer. Sans approbation officielle de la
part de l’empereur et du gouvernement japonais —
et dépassant souvent les désirs de l’état-major
impérial —, l’armée du Guandong étend le théâtre
de ses opérations à toute la Mandchourie et, en
l’espace de cinq mois environ, se rend maîtresse
de l’ensemble de la région. Imprégnés de l’idéal
expansionniste prôné par des sociétés
ultranationalistes comme la société du Dragon
noir, les officiers assurent avec zèle la
protection des intérêts nationaux par la
conquête, sans se soucier des directives des
politiciens. La Mandchourie devient un État
fantoche, offert sous le nom de Mandchoukouo au
dernier héritier des souverains mandchous, Puyi,
qui en est couronné empereur en 1934.
Après enquête, la Société des Nations engage le
Japon à cesser les hostilités en Chine. Le Japon
réplique en se retirant de la SDN, retrait qui
devient effectif en 1935. Il débarque des
troupes à Shanghai afin de briser le boycott
chinois sur les marchandises japonaises. Au
nord, l’armée japonaise de Mandchourie occupe et
annexe l’ancienne province de Rehe et menace
d’occuper les villes de Pékin et de Tianjin.
Incapable de résister à la supériorité militaire
nippone en mai 1933, la Chine reconnaît
officiellement les conquêtes japonaises.
Les initiatives prises par l’armée montrent bien
le pouvoir qu’exercent les chefs militaires sur
la vie politique japonaise : l’armée mène
véritablement la politique étrangère du Japon en
pratiquant systématiquement la politique du «
fait accompli ». L’orientation totalitaire du
régime se manifeste encore davantage après le
retrait du Japon de la SDN. Prenant prétexte
d’un assassinat politique, les militaires
suspendent la vie parlementaire. Les partis
démocratiques et libéraux voient leur activité
entravée et les opposants sont jetés en prison.
En 1937, plus un seul membre du gouvernement
n’est issu de la société civile. En outre, le
Japon se rapproche de l’Allemagne nazie et de
l’Italie fasciste, signant avec elles le pacte
Antikomintern en 1936 et le pacte d’Acier en
1939.
5.3.2 La guerre avec la Chine
Hirohito
en 1938 Le 124e empereur du Japon, qui régna de
1926 à 1989, fut un personnage controversé pour
son attitude passive et pour la caution qu'il
apporta à la politique expansionniste des
militaires japonais avant et pendant la Seconde
Guerre mondiale. THE BETTMANN ARCHIVE
Le 7 juillet 1937, une patrouille chinoise se
heurte aux troupes japonaises à proximité de
Pékin. Utilisant cet incident pour reprendre les
hostilités, l’armée japonaise de Mandchourie
envoie des troupes dans le secteur, précipitant
le déclenchement d’une nouvelle guerre
sino-japonaise entre 1937 et 1945, guerre qui
n’est jamais officiellement déclarée. Les forces
japonaises envahissent rapidement le nord de la
Chine. Dès la fin de 1937, la marine japonaise a
réalisé le blocus de la presque totalité de la
côte chinoise. L’armée, au prix de bombardements
meurtriers pour les populations civiles et d’une
politique de terreur impitoyable (massacre de
Nankin), s’empare en moins de deux ans de la
quasi-totalité de la Chine utile, mais ne
parvient cependant pas à réduire la guérilla
entretenue par le Parti communiste chinois et le
Guomindang. Dans le même temps, le Japon est
soumis à une active économie de guerre. En juin
1937, un cabinet ayant à sa tête le prince Konoe
Fumimaro se décharge entièrement de la conduite
de la guerre, la confiant, sans aucune
intervention du gouvernement, aux chefs de
l’armée et de la marine.
5.3.3 La Seconde Guerre mondiale
La guerre en Europe oblige le Japon à faire un
choix concernant sa politique belliciste : la
terre ou la mer. Choisir la terre signifie
continuer la guerre en Chine et éventuellement
attaquer l’Union soviétique. Opter pour la mer
revient à s’étendre dans le Sud-Est asiatique
avec, comme issue probable, une guerre avec les
États-Unis. L’armée de terre préconise la
première solution, la marine, la seconde. En
1939, le Japon attaque la Mongolie, mais en
septembre, il est défait à Khalkin-Gol par les
blindés russes du général Joukov. Cet échec de
l’armée de terre favorise la marine. En
septembre 1940, l’empire conclut une alliance
tripartite avec l’Allemagne et l’Italie, l’Axe
Rome-Berlin-Tokyo (voir puissances de l’Axe). Ce
même mois, l’armée impériale envahit le Tonkin —
possession française — sans que le gouvernement
de Vichy puisse s’y opposer. Puis, en septembre
1941, le Japon signe un pacte de neutralité avec
l’URSS, assurant ainsi la protection de la
frontière nord de la Mandchourie. Les Japonais
s’attaquent ensuite aux possessions hollandaises
de l’archipel de la Sonde. Ces actes conduisent
les Américains à décréter un embargo sur le
pétrole et contribuent à accroître l’hostilité
entre le Japon et les États-Unis. En octobre
1941, le général Tojo Hideki, violemment
anti-américain, est nommé simultanément aux
postes de Premier ministre et de ministre de la
Guerre. Des négociations, ayant pour objectif de
régler les différends entre les deux pays, se
poursuivent à Washington pendant tout le mois de
novembre, alors même que la décision d’entrer en
guerre a déjà été prise à Tokyo.
Hiroshima (Japon)
Hiroshima, quelques heures après le bombardement
atomique du 6 août 1945. On dénombra près de 130
000 victimes (dont 75 000 périrent immédiatement
après l'explosion atomique) et 177 000 sans-abri
sur une population d'environ 344 000
habitants. Hulton Deutsch
Le 7 décembre 1941, sans aucun avertissement et
tandis que les négociations se poursuivent
encore entre les diplomates américains et
japonais, l’aéronavale japonaise attaque Pearl
Harbor et l’île d’Hawaii, les principales bases
navales américaines dans le Pacifique. Les
Japonais lancent des opérations simultanées sur
terre, sur mer et dans les airs, contre les
Philippines, Guam, l’île de Wake, l’atoll de
Midway, Hong Kong, la Malaisie-Britannique et la
Thaïlande. Le 8 décembre, les États-Unis
déclarent la guerre au Japon, suivis des
puissances alliées, à l’exception de l’URSS.
Capitulation
japonaise Les Japonais signèrent la capitulation
le 2 septembre 1945, sur le cuirassé américain
Missouri. Archive Photos
Pendant environ un an, le Japon conserve
l’initiative dans le Sud-Est asiatique et les
îles du Pacifique sud (voir guerre du Pacifique
; Seconde Guerre mondiale). L’Asie orientale est
intégrée à la sphère économique nippone sous le
nom de « Sphère de coprospérité asiatique », qui
se révèle être une entreprise de pillage
généralisé des ressources des pays occupés par
le Japon. Les slogans anti-occidentaux et
xénophobes qui auraient pu rallier maints
éléments nationalistes asiatiques ne suffisent
pas à soulever durablement les pays colonisés,
en raison de la cruauté des pratiques
japonaises. La Birmanie, la Malaisie, Singapour
— où 30 000 Britanniques sont faits prisonniers
—, Bornéo, Hong Kong et les Indes orientales
néerlandaises tombent aux mains des Japonais ;
les Philippines sont prises après la reddition
des dernières troupes américaines en mai 1942.
Se dirigeant vers l’Australie et la
Nouvelle-Zélande, les forces japonaises
débarquent en Nouvelle-Guinée, en
Nouvelle-Bretagne (actuelle
Papouasie-Nouvelle-Guinée) et dans les îles
Salomon. Un corps expéditionnaire occupe
également Attu, Agattu et Kiska, dans les îles
Aléoutiennes, au large des côtes de l’Alaska.
L’expansion japonaise est stoppée en 1942, lors
de la bataille de la mer de Corail, entre la
Nouvelle-Guinée et les îles Salomon. Un mois
après, une flotte japonaise beaucoup plus
importante est défaite à la bataille de Midway.
Progressivement, l’initiative change de camp.
Côté américain, les opérations terrestres,
navales et aériennes sont confiées dans le
Pacifique sud au général Douglas MacArthur,
tandis que l’amiral Chester W. Nimitz reçoit le
commandement des opérations dans le Pacifique
centre. En juillet 1944, après la chute de
Saipan (îles Mariannes), les militaires japonais
comprennent que leur pays a perdu la guerre. À
partir de novembre 1944, l’US Air Force commence
à bombarder directement le territoire du Japon.
De mai à août 1945, les bombardements alliés
s’intensifient, dévastant plusieurs villes,
détruisant les communications, les usines et ce
qui reste de la marine. Lors de la conférence de
Potsdam (17 juillet-2 août 1945), les Alliés
exigent une reddition inconditionnelle du
gouvernement japonais. Puis, le 6 août 1945, la
première bombe atomique est larguée sur la ville
d’Hiroshima. Deux jours plus tard, le 8 août,
l’URSS déclare la guerre au Japon, et le 9 août,
une seconde bombe atomique est lancée sur
Nagasaki. Les armées soviétiques envahissent la
Mandchourie, le nord de la Corée et Sakhaline.
Hirohito décide alors d’intervenir : le 14 août,
le Japon accepte les conditions des Alliés et
l’empereur s’adresse à la nation pour la
première fois à la radio. La reddition
officielle est signée à bord du cuirassé
américain Missouri, dans la baie de Tokyo, le 2
septembre 1945.
Au terme de la guerre, le pays compte environ
deux millions de morts. Près de 40 % des villes
et l’intégralité des structures économiques du
Japon sont détruites.
5.3.4 Le sort d’un pays vaincu
Le 11 août 1945, le général MacArthur est nommé
chef du Commandement suprême des puissances
alliées (SCAP) occupant le Japon. Le SCAP a des
pouvoirs discrétionnaires très étendus, et
MacArthur ne se prive pas de les utiliser. Il
oriente la politique japonaise afin de
reconstruire un État de droit doté d’un
gouvernement responsable devant le peuple, sorte
de monarchie parlementaire à la manière
britannique. La répression est menée avec
circonspection. Un tribunal militaire interallié
pour l’Extrême-Orient, présidé par un juge
australien, sir William Webb, se réunit à Tokyo
le 3 mai 1946 et clôture ses travaux le 12
novembre 1948. Cent soixante-quatorze inculpés
sur 1 178 sont condamnés à des peines allant de
la prison à vie à la peine de mort ; en fait,
six exécutions ont été effectives, dont celle du
général Tojo. MacArthur refuse la mise en
jugement de l’empereur comme l’auraient souhaité
de nombreux pays occidentaux et le Département
d’État américain. Il choisit, au contraire, de
s’appuyer sur la personne de l’empereur pour
asseoir la reconstruction du pays.
5.3.5 La reconstruction
En 1946, les grands trusts industriels et
bancaires sont dissous. Un programme de réforme
agraire, destiné à donner aux cultivateurs la
propriété de la terre, est mis en œuvre à partir
de 1947. C’est la seule réforme que les
Japonais, tirant les leçons de la « stratégie »
du Parti communiste chinois — celui-ci a utilisé
la réforme agraire pour s’implanter dans la
population —, réalisent d’eux-mêmes. Tout le
système éducatif est remodelé par les autorités
d’occupation et les manuels sont expurgés et
censurés. Le shinto d’État est démantelé, les
écoles du clergé fermées. Le droit de vote est
accordé aux femmes dès la première élection
générale qui suit la guerre, en avril 1946, et
trente-huit femmes sont élues à la Diète
japonaise. En mai 1947, une nouvelle
Constitution entre en vigueur. Préparée avec
soin par des juristes japonais et américains
sous la supervision de MacArthur, elle
bouleverse l’institution impériale : l’empereur
n’est plus l’État, il devient le symbole de
l’État.
La réorganisation de l’économie japonaise,
entièrement dévastée par la guerre, est plus
difficile à réaliser. Les pénuries sont tout
juste compensées par des secours en provenance
des États-Unis.
5.3.6 Le traité de paix
Lors des négociations menées par les Alliés au
cours de l’année 1950 au sujet du traité de paix
avec le Japon, les États-Unis et l’Union
soviétique se divisent sur plusieurs points,
particulièrement sur la question de la
participation de la Chine à l’élaboration du
document. En mai, John Foster Dulles est désigné
pour rédiger les termes du traité. Il faut plus
d’un an de consultations et de négociations des
puissances alliées avec le Japon pour aboutir.
Le gouvernement des États-Unis convie 55 pays à
assister à la Conférence de la paix. La Chine
nationaliste (Taiwan) et la République populaire
de Chine n’en font pas partie.
La Conférence de la paix s’ouvre à San Francisco
au mois de septembre. Parmi les nations
invitées, l’Inde, la Birmanie et la Yougoslavie
refusent d’y assister. Le traité est ratifié par
49 nations, bien que l’URSS, la Tchécoslovaquie
et la Pologne refusent de le signer. Aux termes
du traité, le Japon renonce à toutes ses
prétentions sur la Corée, Taïwan, les îles
Kouriles, Sakhaline et à ses anciens mandats sur
les îles du Pacifique. Il abandonne également
tous droits et intérêts en Chine et en Corée. Le
pays, qui se voit aussi interdire toute
intervention militaire, doit accepter de payer
des dommages de guerre qui seront réglés en
biens et en services, compte tenu des ressources
financières insuffisantes du pays.
En même temps, les États-Unis et le Japon
signent un accord bilatéral prévoyant le
maintien de bases militaires et de forces armées
américaines au Japon.
MacArthur est relevé de ses fonctions au SCAP en
avril 1951 en raison de son désir d’étendre le
conflit à la Chine, remplacé par le lieutenant
général Matthew Bunker Ridgway, alors commandant
des forces des Nations unies en Corée. À la fin
du mois de juin, les États-Unis interrompent
leur aide économique au Japon, mais les effets
préjudiciables de cette décision sur l’économie
japonaise sont largement compensés par les
commandes militaires américaines pour la guerre
de Corée. Les problèmes économiques du pays
tiennent surtout au fait que la guerre lui a
fait perdre ses marchés étrangers,
particulièrement celui du continent chinois.
Conscients du problème, les États-Unis
autorisent, au mois d’octobre, le Japon à
commercer de manière limitée avec la Chine
continentale.
Le 28 avril 1952, le traité de paix avec le
Japon entre en vigueur et la souveraineté pleine
et entière est rendue au pays. Selon les termes
du traité nippo-américain de 1951, les troupes
américaines restent au Japon en tant que forces
de sécurité. Le gouvernement japonais conclut
des traités de paix ou rétablit des relations
diplomatiques avec Taïwan, la Birmanie, l’Inde
et la Yougoslavie.
Aux élections générales d’octobre 1952, les
premières depuis la fin de l’occupation, Yoshida
Shigeru, chef du Parti libéral qui dirige le
cabinet depuis 1949, est réélu Premier ministre.
5.3.7 Les relations avec les États-Unis
Les États-Unis, cherchant à protéger plus
efficacement le Japon contre une agression
chinoise ou soviétique, encouragent vivement le
pays à se réarmer. En août 1953, les deux États
signent un traité d’assistance militaire,
autorisant la fabrication d’armes par les
Japonais. En septembre, dans une déclaration
conjointe, le Premier ministre Yoshida et
Shigemitsu Mamoru, chef du Parti progressiste,
recommandent officiellement la reconstitution
d’une force de défense nationale. Les
négociations menées avec les États-Unis
conduisent à la signature d’un pacte de défense
mutuelle par les deux pays, au mois de mars
1954.
Cette politique d’étroite collaboration avec les
États-Unis est l’objet de vives critiques de la
part de l’opposition et au sein même du Parti
libéral. À la fin du mois de novembre, les
opposants libéraux forment le Parti démocratique
du Japon. Affaibli, Yoshida, n’ayant plus de
majorité à la Diète, démissionne au mois de
décembre. Avec l’appui du Parti socialiste, le
chef de file du Parti démocratique, Hatoyama
Ichiro, est élu Premier ministre.
Le Parti démocratique ne peut obtenir une
majorité à la Diète, lors des élections qui ont
lieu en février 1955, mais le soutien des
libéraux permet à Hatoyama de retrouver son
poste de Premier ministre. Le Parti démocratique
et le Parti libéral fusionnent au mois de
novembre de la même année, assurant au
gouvernement la majorité absolue à la Diète et
inaugurant le monopole du Parti
libéral-démocrate en politique.
5.3.8 Les relations avec l’URSS
En octobre 1956, l’Union soviétique et le Japon
conviennent de mettre fin à l’état de guerre qui
subsiste entre eux depuis 1945. Leur accord
prévoit le rétablissement de relations
diplomatiques, le retour des prisonniers de
guerre japonais encore détenus en URSS, la mise
en vigueur des traités de pêche négociés au
début de l’année, l’acceptation par les
Soviétiques de l’entrée du Japon aux Nations
unies et, enfin, la restitution au Japon d’un
certain nombre de petites îles situées au large
de ses côtes septentrionales.
5.3.9 Sur la scène internationale
Le 18 décembre 1955, l’Assemblée générale des
Nations unies vote à l’unanimité l’admission du
Japon au sein de l’organisation. Deux jours
après, Ishibashi Tanzan, ministre du Commerce et
de l’Industrie, succède à Hatoyama comme Premier
ministre. Tout en maintenant des relations
étroites avec les États-Unis, Ishibashi
s’efforce de développer le commerce avec l’URSS
et avec la Chine, y voyant un moyen d’améliorer
la situation économique du pays.
En février 1957, Ishibashi démissionne pour
raisons de santé. La Diète élit à sa place le
ministre des Affaires étrangères, Kishi Nobusuke.
Au même moment, le Japon conclut un traité de
paix avec la Tchécoslovaquie et la Pologne. En
novembre, il consent à payer 177 millions de
dollars de dommages de guerre à l’Indonésie. Le
Japon devient un membre non permanent du Conseil
de sécurité des Nations unies en janvier 1958.
5.3.10 La politique intérieure
En octobre 1958, le Parti socialiste lance un
ordre de grève pour protester contre un projet
de loi du gouvernement qui prévoit
l’augmentation des pouvoirs de la police. Au
début du mois de novembre, environ quatre
millions de travailleurs se mettent en grève et
le Premier ministre retire le projet de loi. Les
élections de juin 1959, qui doivent pourvoir la
moitié des sièges de la Chambre des conseillers,
voient la victoire du Parti libéral-démocrate.
En 1960, les États-Unis et le Japon concluent un
nouveau traité de défense et de sécurité donnant
plus d’autonomie aux Japonais. Signé à
Washington en janvier 1960, mais mal défendu par
ses promoteurs, il donne lieu à une violente
opposition. L’annonce malencontreuse d’une
visite du président Dwight D. Eisenhower au mois
de juin aggrave la crise. La visite doit être
annulée en raison des craintes éprouvées pour la
sécurité du président américain.
Kishi démissionne le 15 juillet et Ikeda Hayato,
nouveau président du Parti libéral-démocrate,
lui succède. Aux élections à la Chambre des
représentants en octobre, les
libéraux-démocrates remportent une brillante
victoire et Ikeda forme un nouveau cabinet en
décembre.
En 1963, les libéraux-démocrates, alors au
gouvernement, tentent d’amender une des
dispositions de la Constitution, interdisant au
Japon l’entretien de forces militaires et de
matériel de guerre. Cet amendement nécessite
l’approbation de la Chambre des représentants à
la majorité des deux tiers. Faute de majorité,
Ikeda doit dissoudre la Diète, et les
libéraux-démocrates perdent des sièges lors des
élections du 21 novembre.
5.3.11 La croissance économique
L’économie japonaise poursuit sa formidable
progression. Le gouvernement japonais conclut
avec la Chine un accord selon lequel chacun des
deux pays établira des bureaux de liaison
commerciale à Pékin et à Tokyo. Le Premier
ministre Ikeda, qui a été réélu président du
Parti libéral-démocrate en juillet 1964, ne
peut, pour raisons de santé, continuer à assumer
ses fonctions. Sa succession est assurée par
Sato Eisaku. Les XVIIIe jeux Olympiques ont lieu
à Tokyo en octobre 1964, et le Japon procède
pour l’occasion à des aménagements considérables
: nouvelles routes, nouveaux bâtiments tels que
le stade olympique, œuvre de Tange Kenzo. Le
Japon montre ainsi à tous sa modernité. Au cours
de cette période, le pays, bien que n’ayant
qu’un poids politique réduit sur la scène
internationale, s’affirme comme l’une des
grandes puissances économiques du monde.
L’exposition universelle qui se tient à Osaka en
1970 est la preuve que le Japon a regagné sa
place dans les affaires mondiales. En 1971, le
pays se place au troisième rang derrière les
États-Unis et la République fédérale d’Allemagne
pour les exportations, et au cinquième rang pour
les importations.
5.3.12 L’instabilité du gouvernement
Nakasone
Yasuhiro REUTERS/THE BETTMANN ARCHIVE
Bien que le Parti libéral-démocrate ait continué
à tenir les rênes du gouvernement tout au long
des années soixante-dix, l’instabilité
ministérielle est fréquente, en raison des
tensions internes au sein du parti. En 1972,
Tanaka Kakuei, qui succède à Sato en juillet, se
rend en Chine populaire et rétablit les
relations diplomatiques avec ce pays, rompant du
même coup les relations diplomatiques du Japon
avec Taïwan. En novembre 1974, face à la menace
de la révélation d’un scandale, Tanaka
démissionne en faveur de Miki Takeo. Le
gouvernement Miki doit gérer les conséquences de
la récession mondiale de 1974. L’économie
japonaise, dépendante du pétrole et des matières
premières, enregistre une croissance nulle pour
la première fois depuis la guerre.
C’est à partir de cette date que le Parti
libéral-démocrate commence à décliner. Les
déchirements internes et des échecs successifs à
la Diète l’affaiblissent. En 1976, la révélation
que la Lockheed Aircraft Corporation aurait
versé 10 millions de dollars en pots-de-vin et
salaires à des politiciens et industriels
japonais depuis les années cinquante se traduit
par un vote de sanction lors des élections du
mois de décembre : pour la première fois, les
libéraux-démocrates y perdent leur majorité à la
Chambre basse. Miki démissionne, et Fukuda Takeo
est élu Premier ministre. Il est remplacé par
Ohira Masayoshi, autre libéral-démocrate, en
décembre 1978. Après la mort d’Ohira, au plus
fort de la campagne électorale de 1980, Suzuki
Zenko est choisi par les libéraux-démocrates
pour lui succéder. Suzuki démissionne de manière
inattendue en novembre 1982. Il est remplacé par
Nakasone Yasuhiro simultanément à la tête du
parti et au poste de Premier ministre. Les
libéraux-démocrates, qui ont subi un recul en
1983 aux élections à la Diète, font leur retour
le plus spectaculaire en 1986. Pour remplacer
Nakasone, ils choisissent Takeshita Noboru
(1924-2000), qui sera Premier ministre d’octobre
1987 à juin 1989.
Le Japon du début des années quatre-vingt doit
faire face à des problèmes liés à sa croissance
: surpopulation urbaine, pollution de
l’environnement, crise d’une agriculture trop
protégée, relations commerciales tendues avec
les Européens et les Américains. Mais le pays
connaît toujours le taux annuel de croissance le
plus élevé et le taux d’inflation le plus bas
parmi les nations industrielles. Ce n’est qu’à
partir de 1985 que la croissance se ralentit, le
cours élevé du yen par rapport au dollar gênant
la politique commerciale japonaise.
5.4 L’ère Heisei (depuis 1989)
Akihito,
125e empereur du Japon Kaku Kurita/Liaison
Agency
Le prince Akihito succède à Hirohito, mort en
janvier 1989. Il inaugure l’ère Heisei (« le
Rétablissement de la paix »), qui pourtant se
révèle rapidement être une époque troublée.
5.4.1 Le temps des scandales
En avril 1989, Takeshita démissionne de son
poste de Premier ministre, en raison de
scandales de corruption et de trafic
d’influence. Son successeur Uno Sosuke, impliqué
également dans un scandale, démissionne à son
tour en juillet et est remplacé par Kaifu
Toshiki. Les libéraux-démocrates remportent une
victoire décisive aux élections parlementaires
de février 1990, et cela bien que la Bourse de
Tokyo commence à donner les signes d’un déclin
qui se poursuit jusqu’au milieu de l’année 1992
et amène l’indice Nikkei à perdre presque les
deux tiers de sa valeur. On a appelé cet
événement l’explosion de « l’économie
bouillonnante ».
Incapable de faire face au malaise économique et
ne jouissant pas de la confiance des membres du
Parti conservateur, Kaifu est remplacé, à la fin
de l’année 1991, par un autre vétéran de la
politique, Miyazawa Kiichi, tandis que le Parti
socialiste se rebaptise Parti social-démocrate.
La législation autorisant la participation des
troupes japonaises aux opérations de maintien de
la paix des Nations unies, qui a longtemps été
considérée inconstitutionnelle, est finalement
adoptée en 1992. Le mariage du prince impérial
Naruhito avec une roturière, Owada Masako, au
mois de juin 1993, détourne brièvement
l’attention du pays des affaires publiques.
5.4.2 Les libéraux-démocrates menacés
Sur un fond de tension persistante avec les
États-Unis concernant les excédents commerciaux
du Japon, la confiance des Japonais dans leur
gouvernement continue à décliner. L’opinion, en
effet, éprouve une frustration croissante à voir
stagner l’économie japonaise et s’indigne de la
corruption générale de ses dirigeants. En juin
1993, plusieurs libéraux-démocrates, conduits
par Hata Tsutomu et Ozawa Ichiro, font sécession
pour créer le Nouveau Parti du Japon, donnant
ainsi aux partis minoritaires à la Diète la
possibilité de s’unir et de provoquer de
nouvelles élections parlementaires. Aux
élections de juillet, les libéraux-démocrates
perdent la majorité, mettant ainsi fin à la
domination qu’ils ont exercée sur le pays
pendant près de quarante ans. Une fragile
coalition « de sept partis » est formée ; les
libéraux-démocrates deviennent le principal
parti de l’opposition. Hosokawa Morihiro, un
ancien libéral-démocrate devenu chef du Nouveau
Parti du Japon, est élu à la tête du
gouvernement. Ses réformes électorales, qui ont
pour objectif principal d’assainir le climat
politique, sont promulguées en janvier 1994.
Harcelé par des allégations selon lesquelles il
aurait accepté de bénéficier d’un prêt illégal
en 1982, et sous la pression des efforts qu’il
doit déployer pour maintenir dans la coalition
les sociaux-démocrates, Hosokawa se retire au
début du mois d’avril 1994. La coalition des
sept partis choisit alors Hata comme Premier
ministre. Peu après, les sociaux-démocrates se
retirent de la coalition, craignant de voir
aboutir les efforts de leurs partenaires
politiques pour les marginaliser. Hata, sans
majorité à la Chambre basse de la Diète,
démissionne en juin. Le chef du Parti
social-démocrate, Murayama Tomiichi, est élu
Premier ministre quelques jours plus tard, selon
un accord intervenu entre la coalition et les
libéraux-démocrates, ennemis de la veille ;
c’est la première configuration politique de
gauche à se trouver à la tête du Japon depuis
1948. Les partis réformistes d’opposition se
regroupent sous le nom du parti de la Nouvelle
Frontière sous la direction de Kaifu Toshiki et
la gestion d’Ozawa Ichiro.
5.4.3 Catastrophes naturelles et attentats
terroristes
L’année 1995 ébranle profondément les Japonais.
Le 17 janvier, la ville de Kobe est dévastée par
un tremblement de terre qui cause la mort de
quelque 5 000 personnes et laisse des centaines
de milliers de sans-abri. Le 20 mars, le métro
de Tokyo est la cible d’une attaque par armes
chimiques (gaz sarin). Cet acte de terrorisme
tue douze personnes et fait des milliers de
blessés. Il déclenche une psychose qui se
prolonge plusieurs mois. Des enquêtes menées en
direction de la secte religieuse marginale Aum
Shinrikyo et de son gourou Asahara Shoko
permettent de découvrir des fabriques de
produits chimiques et d’armes à feu.
Le procès des membres de la secte Aum en 1996
montre la vulnérabilité du Japon face aux
attaques terroristes. Le caractère exceptionnel
de cet événement — d’ordinaire les sectes
s’autodétruisent et ne projettent pas leur
violence à l’extérieur — incite le gouvernement
à réformer les lois religieuses et le statut des
sectes. C’est oublier la force des organisations
religieuses bouddhistes et shinto qui protestent
vigoureusement contre ce qu’elles considèrent
comme une atteinte aux libertés religieuses ; le
statu quo ante demeure donc la loi. De plus, le
pays est ébranlé par une prise d’otages à
l’ambassade du Japon au Pérou effectuée par les
guérilleros du mouvement Tupac Amaru (22 avril
1997). À la même époque, le 25e anniversaire de
la restitution des îles Okinawa au Japon ranime
les sentiments anti-américains ; plusieurs
manifestations ont lieu dans l’archipel le 14
mai 1997.
5.4.4 L’avènement d’une nouvelle classe
politique
D’un point de vue politique, la coalition
gouvernementale de Murayama subit une défaite
embarrassante lors des élections locales en
avril 1995. En effet, un revirement général,
dirigé contre les candidats des partis
principaux, permet d’élire des candidats
nouveaux dans le monde politique, notamment une
personnalité de la télévision et un ancien
comédien, aux postes clés de gouverneurs de
Tokyo et d’Osaka, tandis que le parti de la
Nouvelle Frontière obtient en province
d’importants postes de gouverneurs. Sur le plan
économique, l’intense spéculation monétaire, qui
fait atteindre au yen des taux records, pèse sur
le redressement économique du pays.
À la tête du gouvernement à partir de janvier
1996, le libéral-démocrate Ryutaro Hashimoto,
jouissant d’une grande popularité, entreprend
d’assainir le climat politique et de relancer
l’économie du pays. Les élections législatives
d’octobre 1996 confirment le retour en force de
son parti. Parmi les mesures envisagées, la
refonte de vingt ministères et agences de l’État
en sept unités placées sous l’autorité du
Premier ministre, destinée à accroître le
contrôle du pouvoir politique sur la haute
administration, cette dernière agissant trop
souvent comme un « État dans l’État ».
5.4.5 Crise de confiance économique
Obuchi
Keizo Vétéran du Parti libéral-démocrate (PLD),
Obuchi Keizo devient Premier ministre du Japon
au lendemain de la démission de Hashimoto
Ryutaro, en juillet 1998, et se fixe pour
objectifs de revigorer le mouvement conservateur
et de relancer l'économie japonaise, en proie à
la stagnation. Sa nomination a été perçue par
beaucoup comme une ultime chance offerte au PLD
de redorer son blason. Reuters/Susumu Takahashi/Archive
Photos
En 1996, le Japon semble sorti d’une longue
période de récession, mais son économie demeure
fragile. La baisse du yen (depuis 1996) permet
d’éviter une crise grave, mais les faillites de
plusieurs maisons de titres, combinées avec de
mauvais résultats, le tout dans un contexte de
crise affectant l’ensemble des pays émergents de
l’Asie de l’Est et du Sud-Est, entraînent une
crise de confiance. Le chômage atteint le taux
de 3,6 % en février 1998, tandis que le plan de
relance présenté par le chef du gouvernement
Hashimoto Ryutaro est mal accueilli, tant au
Japon qu’à l’étranger : nouvelle chute de la
Bourse de Tokyo en avril 1998, chute du yen. Les
tentatives de dérégulation du système financier
(« big bang ») entreprises au mois d’avril, dont
l’ambition est de créer en Asie une « zone yen »
comparable à la « zone euro » européenne, et
d’assurer une stabilité monétaire relative, sont
accueillies avec circonspection.
Lors du renouvellement de la moitié du Sénat, le
Parti libéral démocrate subit un important échec
électoral qui conduit Hashimoto à démissionner
de son poste de leader du PLD et donc de son
poste de Premier ministre, lequel est confié à
Obuchi Keizo lors des élections de juillet 1998.
Dans la ligne de son prédécesseur, Obuchi Keizo
fait adopter en octobre 1998 un nouveau plan de
relance, plus ambitieux encore. Au mois de
novembre 1998, le Japon refuse la levée des
tarifs douaniers sur les produits issus de la
pêche et de l’exploitation forestière, stoppant
net les espoirs mis dans la création d’une zone
de libre échange asiatique. Sur le plan
diplomatique, Keizo Obuchi rencontre le
président chinois Jiang Zemin, en visite
officielle au Japon, puis le président russe
Boris Eltsine ; un protocole d’accord prévoyant
la signature d’un traité de paix entre la Russie
et le Japon est finalement adopté. En avril
1999, la coopération militaire avec les
États-Unis est renforcée.
S’enfonçant dans la récession, le pays connaît
un taux record de chômage : 4,8 % en mai 1999
(le plus haut niveau depuis 1953), tandis que se
développe de façon spectaculaire l’emploi
précaire. Le sentiment de pessimisme se
généralise, et touche tout particulièrement les
étudiants, qui ne sont plus assurés de trouver
un emploi sitôt leur diplôme en poche.
Paradoxalement, la crise crée également une
mobilité nouvelle au Japon : d’une part, il est
devenu possible de démissionner, d’autre part,
les jeunes sont plus nombreux à poursuivre ou à
reprendre des études. Ils sont en revanche moins
nombreux à se marier (en 1996, 60 % des femmes
de moins de trente ans habitant Tokyo étaient
célibataires), ce qui pose le problème du
renouvellement de la population, dont le
vieillissement inquiète sérieusement les
autorités.
5.4.6 Le retour de la stabilité ?
Junichiro
Koizumi Élu à la tête du Parti libéral démocrate
(PLD), le réformateur Junichiro Koizumi devient
Premier ministre du Japon le 26 avril
2001.Mainichi Newspaper Co., Ltd.
En octobre 1999, une nouvelle coalition
gouvernementale de centre-droit, dirigée par
Obuchi Keizo, rassemble le PLD, le Parti
libéral, mais également le nouveau Komeito
(émanation de la secte bouddhique Sokagakkaï),
ce qui soulève de vives polémiques tant dans les
sphères politiques que dans l’opinion, d’autant
plus que cette coalition dispose aux yeux de
certains de pouvoirs excessifs. Grâce à la
reprise économique qui se confirme au début de
2000 — et malgré les signes d’essoufflement que
commence à donner son gouvernement —, le Premier
ministre, à qui l’on attribue ce plan de
sauvetage, jouit d’une grande popularité.
Victime d’une embolie cérébrale au début
d’avril, il meurt un mois plus tard. Désigné à
huis clos, Yoshiro Mori lui succède et le
gouvernement est reconduit. Le PLD remporte avec
une majorité amoindrie les élections anticipées
du 25 juin 2000, face à une opposition divisée
et sans consistance. Yoshiro Mori, très critiqué
à l’intérieur même du PLD, annonce sa démission
en avril 2001. Il est remplacé par Junichiro
Koizumi, qui passe pour un réformateur. Élu à la
tête du PLD, il devient Premier ministre le 26
avril. Malgré dix plans de relance budgétaire,
la deuxième économie mondiale est au bord de la
récession, et la Bourse au plus bas depuis
quinze ans.
Le nouveau Premier ministre engage une politique
de réformes structurelles ambitieuse, tout en
bénéficiant d’une très forte popularité. Mais la
situation économique continue de se dégrader :
le Japon est officiellement déclaré en récession
en 2001. Le chômage dépasse le seuil
psychologique de 5 % et les faillites se
multiplient. Le premier cas d'encéphalopathie
spongiforme bovine (ESB) découvert dans le pays
entraîne la mise en place de tests de dépistage.
Dans ce contexte, la naissance de la petite
princesse Aiko, le 1er décembre 2001, est
accueillie dans la joie.
Au même moment, les dirigeants japonais mènent
une politique étrangère active. Ils apportent
leur soutien à la riposte américaine aux
attentats du 11 septembre 2001 en envoyant trois
unités de marine dans l'océan Indien, un geste
inédit depuis 1945. En visite en Corée du Sud et
en Chine, le Premier ministre exprime ses
excuses pour les crimes qui y ont été commis
pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il
a effectué quelques mois auparavant une visite
controversée au sanctuaire de Yasukuni, lieu de
mémoire dédié aux soldats morts pour la patrie.
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